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[Dossier] Dépôt des armes en Casamance:  Diakaye pour inspirer les autres factions du Mfdc

Rédigé par leral.net le Mardi 5 Mars 2024 à 22:53 | | 0 commentaire(s)|

Le 26 décembre 1982, un conflit avait éclaté dans la partie sud du Sénégal entre l’État et le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc) qui réclamait l’indépendance. C’est le point de départ d’une crise armée qui a plongé cette partie du pays dans une situation inédite aux conséquences multiples. La Casamance est affectée dans […]

Le 26 décembre 1982, un conflit avait éclaté dans la partie sud du Sénégal entre l’État et le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc) qui réclamait l’indépendance. C’est le point de départ d’une crise armée qui a plongé cette partie du pays dans une situation inédite aux conséquences multiples. La Casamance est affectée dans son entièreté. Malgré des accords de cessez-le-feu qui ont été paraphés, les combats s’y intensifièrent. Des blocs armés contrôlés par des chefs « rebelles » se forment du Nord au Sud. Si loin de la paix, la Casamance est restée en l’état jusqu’à la journée historique de Mongone où des ex-combattants de la faction de Diakaye, dont la base « rebelle » était implantée au milieu des communautés, ont jugé nécessaire, le 13 mai 2023, de déposer les armes et de faire la paix avec les populations de la Casamance et du reste du Sénégal. À l’occasion de la Journée internationale dédiée au dépôt des armes, célébrée ce 05 mars, « Le Soleil » s’arrête sur l’évènement de Mongone où les habitants réclament un meilleur être pour inspirer les autres factions du Mfdc. 

Par Gaustin DIATTA et Jonas Souloubany BASSENE (Correspondants à Ziguinchor et à Bignona) 

ZIGUINCHOR – Le 13 mai 2023, un nouveau soleil se lève au village de Mongone, dans le Nord du département de Bignona. Ce jour-là, cette bourgade de la commune de Djignaky a abrité la cérémonie du dépôt des armes qui a eu lieu à quelques kilomètres de la base de la faction de Diakaye. Tout un symbole. Toute une histoire ! Car, des combattants du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc), après avoir passé la moitié de leur vie dans ce sanctuaire « rebelle » ont décidé de tourner le dos au « maquis ». Au nombre de 255, ces désormais ex-combattants de la faction Diakaye, sous la tutelle de l’ex-commandant Fatoma Coly, ont accepté de déposer les armes pour revenir à la « vie normale » et civile. Entre les différents accords de cessez-le-feu signés (en 1991, 1993, paix sur papier en 2004, etc.) entre l’État du Sénégal et le Mfdc et la journée historique de Mongone, il y a eu grand fossé. Avant d’aboutir au dépôt des armes, il y a eu tout un long processus, quelquefois parsemé de contraintes les plus profondes dans la mesure où, au départ, aucune des factions « rebelles » ne s’était prononcée en faveur d’un éventuel dépôt des armes. Il fallait, dans un premier temps, leur faire adhérer à cette cause devant permettre à la Casamance de retrouver toute sa sérénité et sa quiétude d’antan.

Acteur clé et médiateur de premier plan entre l’État du Sénégal, représenté par l’amiral Farba Sarr et la faction de Diakaye, Henry Ndecky révèle que le véritable travail de négociations ayant abouti au dépôt des armes, le 13 mai 2023, a débuté en 2020. Pour arriver à la journée du dépôt des armes, l’équipe qui a assuré la médiation a initié une approche basée sur la mise à niveau des ex-combattants de Diakaye. « Nous nous sommes dit qu’il était important d’organiser des séances de formation avec Diakaye dans son ensemble et l’équipe de négociations », précise M. Ndecky. Ce travail effectué en amont a été payant. Les 30 et 31 juillet 2021, à Banjul, en République de Gambie, les négociations ont pris forme entre le Gouvernement du Sénégal et le front nord Diakaye. Au cours de cette entrevue, souligne le coordonnateur de la Dynamique de paix en Casamance, chaque partie a fait part de ses motivations pour aller à la table des négociations avec des préoccupations et objectifs précis. « C’était un moment difficile parce qu’il fallait gérer, en même temps, les questions liées au calendrier et les attentes des deux parties. Heureusement que les deux avaient pratiquement les mêmes points de vue qui tournaient autour du dépôt des armes. En tant que médiateur, nous communiquions tout le temps avec les deux parties parce qu’à chaque fois qu’il y avait un vide, il fallait le combler pour permettre aux uns et aux autres de changer de positions. Ce n’était pas du tout facile », reconnaît Henry Ndecky. Par le passé, il y a eu des accords de cessez-le-feu qui n’ont pas produit les résultats escomptés. Des incompréhensions, des positions différentes, l’équipe de médiation en a connu durant cette phase. Cependant, la rencontre de Banjul de 2021 marque le début du vrai dénouement. Et le 13 mai 2023, soit deux ans après, les combattants de Diakaye ont accepté de déposer les armes. Une façon pour eux de concrétiser la résolution de Banjul.

Les femmes, au cœur des négociations 

Le 13 mai 2023, l’acte posé par les combattants de Diakaye en a séduit plus d’un. Ces anciens éléments appartenant au Mfdc ont dit adieu aux armes, se débarrassant pour toujours de ses engins. En plus, dans les négociations, la faction, dirigée par l’ex-commandant Fatoma Coly, a décidé que les femmes et les civils prennent part aux nombreuses concertations. Selon Henry Ndecky, l’exemple de Diakaye doit inciter les autres factions à adopter la même posture pour le bien-être et l’épanouissement des populations de la Casamance qui ont longtemps souffert à cause de ce conflit armé. « Ce que les gens ne savent pas, c’est que les femmes, toutes générations confondues, ont joué un rôle indispensable dans ce processus de dépôt des armes. Elles ont fait partie des équipes de négociations. Ça, c’est une particularité à saluer. Les femmes ont estimé que les populations ne devaient pas continuer à souffrir. Et la faction de Diakaye qui a subi une pression terrible est parvenue à rendre concret le vœu le plus ardent des habitants de la zone », fait remarquer M. Ndecky, soulignant l’impérieuse nécessité de s’attaquer à la problématique de l’état-civil pour permettre à tous ces ex-combattants ainsi qu’à leurs familles de disposer de ces documents indispensables.

FATOMA COLY, EX-COMMANDANT EN CHEF DE LA FACTION DIAKAYE

« J’ai pris cet engagement pour soulager les populations » 

Son prénom était connu de tous pendant qu’il était dans le « maquis ». Des années de résistance, il dit en avoir connu avec ses compagnons d’arme. Après des années de guerre, il a décidé de ranger les armes pour se consacrer à une autre vie. Âgé de moins de 60 ans, Fatoma Coly, l’ex-commandant en chef de la faction Diakaye, a convaincu ses hommes de déposer les armes. Le 13 mai 2023, il a fait face aux habitants de Mongone et des autres villages environnants pour leur demander pardon, tout en affichant sa ferme volonté d’œuvrer pour que la Casamance puisse retrouver la paix définitive, gage d’un développement harmonieux. « J’ai certes causé du tort à mes papas, mes mamans et à mes frères et sœurs en optant pour la guerre ; mais à partir de ce jour, j’ai décidé de déposer mon arme et de travailler pour la paix en Casamance. Je vous jure que j’ai pris cet engagement pour soulager les populations. La paix, nous en avons tous besoin. Je ne suis pas une personne violente. D’ailleurs, je l’ai dit à ceux qui m’avaient porté à la tête du commandement de la faction de Diakaye », disait-il, la voix empreinte d’émotions le jour de la cérémonie du dépôt des armes. « Chers parents, vous avez souffert et rien ne marche. Avec mes hommes, nous avons décidé de ranger nos armes pour toujours. C’est fini la guerre », a poursuivi, dans la foulée, l’ex-commandant Fatoma Coly. Quand il se battait dans le « maquis », lui, qui nourrissait l’espoir de retrouver un jour sa famille, a vu son rêve se concrétiser. L’ex-commandant en chef de la faction Diakaye a retrouvé une vie civile. Désormais, il peut profiter pleinement de ses enfants dont l’aîné est un artiste-chanteur qui a eu à composer un tube, en l’honneur d’une paix définitive en Casamance.

Les armes déposées à Mongone, le 13 mai 2023, ont été incinérées au village de Mamatoro, dans la commune d’Enampore, le 23 décembre 2023 devant les autorités étatiques, administratives, militaires et les ex-combattants de la faction de Diakaye. Une action qui marque le début d’une nouvelle ère et d’un nouveau chapitre dans cette recherche effrénée de la paix définitive en Casamance.

 

HENRY NDECKY

« Une vie » pour la paix en Casamance 

Le chemin qui a conduit au dépôt des armes était « miné » d’avance. En revanche, il fallait à tout prix le braver. En dépit de ces difficultés majeures, Henry Ndecky n’a pas baissé les bras. Il a fermé les yeux et est allé au bout de sa logique. À 51 ans, ce « jeune » mancagne, qui puise ses ressources dans les paroles de son défunt père, affirme qu’il va continuer à travailler d’arrache-pied en vue de permettre à la Casamance de renouer avec la paix définitive.

« J’ai travaillé sans intérêt. Nous avons travaillé très dur et quelquefois, avec des menaces pour arriver à ce résultat-là. Ma famille m’a suggéré d’abandonner. Mais, il était hors de question parce que j’ai eu la bénédiction de mon papa avant qu’il ne soit rappelé à Dieu en 2022. Donc, je ne devais pas arrêter », confie, avec fermeté, le patron de la Coordination sous-régionale des acteurs de la société civile pour la paix en Casamance et la stabilité dans la sous-région (Cospac).

VILLAGE DE MONGONE

Les notables dans l’attente de la réalisation des promesses 

Bientôt un an après l’engagement d’une partie de Diakaye à déposer les armes, les promesses pour accompagner cette initiative attendent d’être réalisées. Sur l’espace réservé pour bâtir le siège de l’Initiative pour la réunification des ailes politiques et armées (Irapa), des notables de Mongone rappellent les promesses, tout en évoquant les péripéties qui ont abouti à la création d’une association qui a mené les négociations. 

BIGNONA – À l’arrière-cour du domicile de Sékou Sonko, cinq notables discutent à bâton rompu de l’avenir de Mongone. Ils font la revue des promesses tenues lors des pourparlers qui ont conduit un groupe d’irrédentistes du front nord, aussi appelé Diakaye, à déposer les armes. « Nous avions sollicité l’aménagement d’un périmètre maraicher par exemple. Nous avions retenu une superficie de 1,5 hectare, malheureusement, on attend sa réalisation », rappelle Abdou Sonko, chargé de l’organisation au sein de l’Initiative pour la réunification des ailes politiques et armées (Irapa). La liste des complaintes est longue. La piste sablonneuse par endroits, impraticable pendant l’hivernage, favorisant la détérioration de plusieurs quantités de mangues dans les vergers, en fait partie. Les malades transférés en Gambie, faute d’une structure de santé adéquate, proteste Nfally Goudiaby, un militaire libéré. La clôture de la maternité et de l’école primaire reste, entre autres, des requêtes formulées pour déposer les armes. Selon eux, rien de concret n’est encore réalisé depuis l’accord du 13 mai 2023 qui a eu un retentissement dans tout le pays. Pourtant, elle constitue l’une des demandes mises sur la table lors des négociations, insiste Atab Sagna, Imam du village.

Point de départ du conflit dans l’arrondissement de Kataba1, le village de Mongone a accueilli et hébergé les bases du front nord du Mfdc dans les années 1990 à 2023. Dans sa partie nord, dominée par une forêt dense et des vallées autrefois rizicoles, plusieurs confrontations se sont déroulées entre l’armée et les combattants du Mfdc d’une part mais aussi entre membres du Mfdc d’autre part pour la conquête du leadership. Conséquence, les populations ont fui Mongone de 2000 à 2006. Ce passé tumultueux a fait que le village a payé un lourd tribut. « Une année », se souvient Abdou Sonko, « en une seule journée, nous avons enterré 4 de nos parents abattus ». La récurrence des affrontements a même terni l’image de ce village de la vallée des palmiers. « Dans la commune de Djignaky (appellation avant la réforme), on nous reprochait d’avoir accueilli chez nous des rebelles du Mfdc. Nous recevions même l’invite du sous-préfet pour nous expliquer sur la présence de ces gens armés, alors que nous n’y pouvions rien », se rappelle Sékou Sonko.

Des projets comme la construction de la piste de production qui devait plus tard donner forme à la boucle de la vallée des palmiers ont été interrompus par les hommes armés du Mfdc. « Ils étaient encagoulés, difficile de les identifier. Ils avaient emporté un véhicule de l’entreprise », explique Idrissa Coly, actuel chef du village, autrefois vigile dans le chantier de construction de cette piste.

L’installation d’un cantonnement militaire 

En réalité, l’installation du cantonnement du front nord dans le village a bel et bien fait l’objet de consultation secrète entre le chef du village et quelques émissaires du maquis. Le responsable du village avait donné son accord après avoir reçu l’avis de quelques notables. « Ils lançaient ce code : « Assaninga » qui signifie assemblée. Ils se retrouvaient sur ce lieu pour discuter et prendre une décision concernant la rébellion (préparation des combattants, charité…) », confie Sékou Sonko, un des notables du village. Plus le conflit a duré, plus une nécessité de changer de paradigme s’est imposée. Au-delà des différents rounds de négociations récentes (Banjul, Tambacounda, Cap Skirring), d’autres initiatives sont mises en œuvre pour aller vers la résolution pacifique du conflit. Ainsi, une partie de la population de la zone des palmiers dont celles de Mongone a senti le besoin d’en finir avec cette crise lassante. Un Comité provisoire (Cp) est instauré. Sa mission : rencontrer les acteurs du conflit, les réunir tout en faisant régulièrement le point sur ses activités avec les autres membres.

Selon Abdou Sonko, l’absence de transparence (la rédition des comptes voire de confiance) a précipité le Cp dans l’abime. Discrètement, l’Irapa est mis sur les fonts baptismaux. Il s’agit, avec cette nouvelle dynamique, de travailler à « mobiliser les ailes politiques civiles, afin d’aller vers la table des négociations », rapporte Nfally Goudiaby.  C’est avec l’Irapa qu’une partie du Diakaye a déposé les armes en mai dernier. Toutefois, plusieurs points évoqués dans l’acte 3 de l’accord de paix signé entre le gouvernement à travers le comité ad hoc et l’Irapa ne sont pas, pour le moment, mis en œuvre. Un mauvais signal pour les autres groupuscules du Mfdc qui rechignent à suivre Fatoma Coly, le désormais ex-chef de guerre de Diakaye et ses camarades qui attendent encore le soutien promis pour leur réinsertion socio-économique, après plus de trois décennies dans le maquis de Mongone.

 



Source : https://lesoleil.sn/dossier-depot-des-armes-en-cas...